N. Benmansour,1 H. Hachimi,1 A. Oudidi1 et M.N. El Alami1
Introduction
Le carcinosarcome est une tumeur maligne à double composante carcinomateuse (différenciation épithéliale) et sarcomateuse (différenciation conjonctive) [1,2]. L'entité de tumeur a été décrite dans beaucoup d'organes épithéliaux. Au niveau de la tête et du cou, le carcinosarcome est rare. La plupart des cas rapportés se produisent dans les glandes salivaires principales [3]. La localisation d'un carcinosarcome au niveau du larynx a déjà été décrite mais reste exceptionnelle et pose des difficultés diagnostiques et thérapeutiques particulières [3,4]. À l'occasion de deux nouvelles observations très démonstratives et à partir des données de la littérature, nous avons voulu faire le point sur les positions cliniques et thérapeutiques des différents auteurs.
Cas cliniques
Observation no 1
Monsieur A âgé de 63 ans, tabagique chronique, consulte en oto-rhino-laryngologie (ORL) pour dysphonie associée à une dyspnée d’effort évoluant depuis huit mois. La laryngoscopie directe a objectivé une tumeur bourgeonnante de l’hémi-larynx gauche avec fixité de la corde vocale homolatérale. La biopsie a conclu à un carcinome épidermoïde moyennement différencié. La tomodensitométrie cervicale a montré un processus tumoral glottique gauche de 3,5 × 1,5 cm, hypodense, étendu à l’étage sus-glottique, infiltrant le repli ary-épiglottique, la corde vocale et la loge hyo-thyro-épiglottique gauches, sans adénopathie (Figure 1). Le bilan d’extension à distance et à la recherche d’un autre cancer primitif s’est révélé négatif. La tumeur a été classée T3N0M0 selon les recommandations de l’Union internationale contre le cancer de 2003. Une laryngectomie totale et un curage ganglionnaire cervical ont été pratiqués. L’étude macroscopique de la pièce opératoire montrait au niveau des étages glottique et sus-glottique gauches un néoplasme bourgeonnant de 3,5 × 1,5 × 0,8 cm, envahissant la commissure antérieure, la corde vocale, la bande ventriculaire et le sinus piriforme homo-latéral. L’étude anatomopathologique de la pièce opératoire mettait en évidence d’une part, des travées de cellules carcinomateuses, d’autre part la présence de secteurs assez étendus de cellules fusiformes, agencées en faisceaux, avec anisocaryose modérée et mitoses atypiques. Le stroma était grêle, fibreux et riche en vaisseaux (Figure 2). Il s’agissait d’un carcinome sarcomatoïde de grade IV de Furhman.
Une radiothérapie a été délivrée à la dose de 66 Gy dans le lit tumoral par deux faisceaux latéraux et une dose de 50 Gy dans les aires ganglionnaires cervicales basses et sus-claviculaires bilatérales par un faisceau antérieur à raison de cinq séances par semaine de 2 Gy. La dose a été complétée jusqu’à 56 Gy dans les aires ganglionnaires cervicales gauches. Cette irradiation s’est déroulée sans incidents. Le recul est de 22 mois sans le moindre signe de récidive ni de métastase.
Observation no 2
Il s'agit d'un homme âgé de 68 ans, ayant un antécédent de tabagisme chronique, présentant une dysphonie d'aggravation progressive depuis 14 mois, associée à une dyspnée ayant nécessité une trachéotomie. La laryngoscopie directe a objectivé une volumineuse tumeur bourgeonnante de l’hémi-larynx droit avec fixité de la corde vocale homolatérale. La biopsie a conclu à un carcinosarcome du larynx. La tomodensitométrie cervicale a révélé un processus tumoral hypodense glotto-sus-glottique droit de 4 cm, infiltrant la loge hyo-thyro-épiglottique, avec des adénopathies des secteurs II et III homolatéraux. Le bilan d’extension s'est révélé normal. La tumeur a été classée T3N2M0. Le protocole thérapeutique a consisté en une laryngectomie totale (Figure 3) et un curage ganglionnaire cervical. L’étude anatomopathologique de la pièce opératoire confirme le diagnostic d’un carcinome sarcomatoïde. Une télécobalthérapie a été délivrée à la dose de 70 Gy dans le lit tumoral par deux faisceaux latéraux et une dose de 65 Gy dans les aires ganglionnaires cervicales basses et sus-claviculaires bilatérales par un faisceau antérieur à raison de cinq séances par semaine de 2 Gy. Cette irradiation s’est déroulée sans incidents. Le patient est régulièrement suivi en consultation avec un recul de 10 mois.
Discussion
Le carcinosarcome est une tumeur maligne à double composante, carcinomateuse (différenciation épithéliale) et sarcomateuse (différenciation conjonctive) [1,2]. La composante sarcomatoïde dériverait d’un carcinome par conversion phénotypique. Cette théorie, dite de la conversion, est étayée par le fait que des études ont montré que les cellules des deux composantes, carcinomateuses et sarcomatoïdes, appartenaient au même clone [1,5].
Le carcinosarcome du larynx constitue moins de 1 % de toutes les tumeurs malignes de la région [4,6]. Cette tumeur a été décrite dans la littérature sous plusieurs autres titres : pseudosarcome, carcinome sarcomatoïde, pseudocarcinome ou un carcinome pléomorphe [1,4]. L'âge moyen de survenue est de 60 ans, avec une forte prédominance de cette tumeur chez le sexe masculin [4]. Les facteurs de risque sont identiques à ceux du carcinome épidermoïde et sont dominés par l'intoxication alcoolo-tabagique et par l'antécédent d'une radiothérapie cervico-faciale antérieure [4,7]. Ce dernier facteur n'a pas été retrouvé chez nos malades.
Sur le plan histogénétique, la conception actuelle privilégie la théorie de la conversion phénotypique aboutissant à la formation de zones de différenciation conjonctive plus ou moins spécialisée au sein du carcinome [1,5]. Les carcinomes sont souvent de haut degré de malignité, de type malpighien ou glandulaire. Ils marquent toujours avec les anticorps anti-cytokine alors que la composante sarcomatoïde est constituée le plus souvent de cellules fusiformes peu différenciées et elle marque toujours avec les anticorps anti-vimentine, parfois anticytokines [5].
Le carcinosarcome laryngé peut rester longtemps asymptomatique et être découvert dans le cadre du bilan d’une masse cervicale [8]. La dyspnée et la dysphonie sont les symptômes révélateurs les plus fréquents [5,9]. La dysphagie peut être secondaire à une compression de l’œsophage par la tumeur [9]. D’autres signes cliniques plus rares ont été rapportés : toux sèche persistante, stridor, syndrome d’apnées du sommeil, voire une adénopathie cervicale [8,10]. Dernièrement, Daizo a rapporté le cas d'une fistule vasculaire cervicale compliquant un carcinosarcome du larynx [11]. Les métastases régionales du composant épithélial du carcinosarcome se produisent dans seulement 10 à 20 % des cas mais les métastases à distance du composant mésenchymateux sont plus communes [4].
L'examen endoscopique est un outil indispensable qui permet l'étude du larynx, de la trachée et de l'œsophage [9,12]. Il est effectué sous anesthésie générale, idéalement avec des endoscopes et des optiques pour permettre une analyse soigneuse de la muqueuse. Dans la plupart des cas, il signale la présence d'une lésion exophytique à surface épithéliale intacte, qui cause rapidement l'obstruction en raison de sa croissance rapide, particulièrement la croissance du composant mésenchymateux [4,7]. La présence d'une ulcération peut mener à une biopsie faux-négative et retarder le diagnostic. L'examen endoscopique permet aussi la réalisation des biopsies qui devraient être profondes en cas de lésions ulcéreuses pour examen histopathologique et l'analyse systématique de l'ensemble des voies aérodigestives supérieures et de l'œsophage à la recherche d'une éventuelle seconde localisation synchrone [8,10,12].
Les techniques d'imagerie apportent un complément indispensable. Le scanner spiralé permet d'effectuer des coupes fines, et des reconstructions dans différents plans de l'espace permettent de préciser l'extension locale et en profondeur ainsi que l'extension ganglionnaire [13]. L'imagerie par résonance magnétique (IRM) est effectuée avec une antenne cervicale par des coupes en T2 et T1 après injection de gadolinium [13,14]. Cet examen est plus sensible pour détecter les extensions minimes, en particulier vers le cartilage, mais le scanner semble plus spécifique 13] ; cependant l'IRM présente une meilleure résolution spatiale pour étudier les détails des tissus mous.
Le diagnostic anatomopathologique peut être parfois délicat, la composante épithéliale étant, dans certains cas, difficile à mettre en évidence en étude morphologique ; des examens immunohistochimiques, voire ultrastructuraux, sont alors nécessaires [5,8,14]. Au point de vue immunohistochimique, la composante carcinomateuse est toujours cytokératine et parfois antigène de membrane épithéliale positive, alors que la composante sarcomatoïde est au contraire toujours vimentine et parfois cytokératine positive [5,14,15].
Des études ont montré que les micro-invasions vasculaires étaient plus fréquentes dans les carcinomes sarcomatoïdes que dans les autres types histologiques [2]. Le pronostic de cette tumeur est plus péjoratif que celui des carcinomes [9,12]. La médiane de survie est en moyenne de 6 mois après le diagnostic [9]. Au diagnostic, cette tumeur se présente le plus souvent avec des lésions déjà avancées, avec un grade et un stade élevés [16]. Le carcinome sarcomatoïde est fréquemment découvert à un stade métastatique [8,16] ; les principaux sites de métastases sont le poumon, l’os, le foie, les ganglions et le cerveau [16].
Sur le plan thérapeutique, il n'y a aucun consensus quant à la thérapie la plus appropriée pour le carcinosarcome du larynx. Luna Ortiz a rapporté deux cas de carcinosarcome du larynx traité par une laryngectomie partielle supracricoïdienne mais après 8 mois d'évolution un des deux malades a présenté une récidive tumorale de la composante sarcomateuse et a nécessité une laryngectomie totale [4]. Le traitement le plus commun selon la plupart des auteurs est la laryngectomie totale [1,5,10], quoiqu’il paraît que cette intervention n’a que peu d’influence sur le taux de survie et le pronostic [9]. En effet, après chirurgie, la durée moyenne de survie est brève, aux environs de 6,3 mois en moyenne [9]. La chirurgie semble donc inefficace à elle seule pour endiguer le comportement agressif de cette tumeur [9]. Un traitement adjuvant serait nécessaire pour permettre le contrôle de la maladie.
Dans notre expérience, les deux malades ont bénéficié d'une laryngectomie totale avec un curage fonctionnel cervical suivi d'une radiothérapie externe ; le recul n'est pas assez long pour conclure de la bonne efficacité de traitement et de l'absence de récidive ou de métastase à long terme.
D’autres essais, associant chirurgie et interleukine II à doses élevées chez des patients métastatiques, ont montré une amélioration du taux de survie par rapport aux patients traités par chirurgie seule ou associée à d’autres formes d’immunothérapie (interleukine II à faible dose, interféron, etc.). L’association du traitement chirurgical à l’interleukine II à doses élevées pourrait ainsi peut-être jouer un rôle dans la prise en charge thérapeutique du carcinome sarcomatoïde [9,17]. En fait, à l’heure actuelle, aucune alternative thérapeutique, que ce soit l’immunothérapie ou la chimiothérapie, n’a vraiment fait la preuve de son efficacité ni n’a permis un allongement significatif de la durée de survie dans les formes métastatiques [9,14,17]. Des succès thérapeutiques, bien que rares, font que pour certains auteurs, en l’absence de traitements alternatifs dûment validés, la chirurgie reste encore une option thérapeutique incontournable [10,12].
Conclusion
L’évolution naturelle des carcinomes sarcomatoïdes du larynx est redoutable. Le mauvais pronostic spontané de cette tumeur est encore assombri par l’absence d’arme thérapeutique efficace. La clef du traitement résidera peut-être dans la mise au point de traitements à visée moléculaire.
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