Eastern Mediterranean Health Journal | All issues | Volume 12, 2006 | Volume 12, issue 5 | Connaissances sur les virus des hépatites B et C et le VIH chez des donneurs de sang à Casablanca

Connaissances sur les virus des hépatites B et C et le VIH chez des donneurs de sang à Casablanca

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H. Boutayeb,1 A. Aamoum1 et N. Benchemsi1

RÉSUMÉ Une enquête a été réalisée au niveau du Centre régional de Transfusion sanguine de Casablanca de février à mai 2002 auprès de 1750 donneurs de sang. Un questionnaire a été soumis à chaque donneur de sang. Son objectif était d’évaluer les connaissances sur les modes de transmission des virus des hépatites B et C et de l’immunodéficience humaine. Les modes de transmission du VIH semblent mieux connus que ceux de l’hépatite B avec respectivement 85 % et 60 % de réponses justes. Les modes de transmission du virus de l’hépatite C sont les moins bien connus avec 54 % de réponses exactes, et ce même au sein des groupes informés comme le personnel paramédical et les étudiants en médecine. Des efforts doivent être faits en matière d’information sur les modes de transmission des virus des hépatites B et C pour une meilleure prévention.

Knowledge about hepatitis B and C viruses and HIV among blood donors in Casablanca

ABSTRACT A survey was conducted in the Casablanca Regional Blood Transfusion Centre from February to May 2002. A questionnaire was given to 1750 blood donors from different groups of society to asses the knowledge of the public about hepatitis B and C and human immunodeficiency viruses. The responses indicated that the mechanism of HIV transmission was well known to the public: 85% gave correct answers. Hepatitis B and hepatitis C viruses were less well understood: 60% and 54% gave correct answers respectively. Our study suggests that the public needs to be better informed about hepatitis B and C virus transmission.

1Centre régional de Transfusion sanguine (Maroc) (Correspondance à adresser à H. Boutayeb : This e-mail address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it ; This e-mail address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it ).
Reçu : 26/12/04 ; accepté : 04/04/05
EMHJ, 2006, 12(5): 538-547


Introduction

Les hépatites B et C, ainsi que le SIDA, constituent un nouvel enjeu de santé publique de par l’importance du nombre des personnes contaminées, la gravité des formes évolutives de l’infection et le coût élevé de la prise en charge des patients. En effet, on estime à 2 milliards le nombre de personnes infectées par le virus de l’hépatite B (VHB), dont plus de 350 millions deviennent des porteurs chroniques, et à 170 millions le nombre de porteurs chroniques du virus de l’hépatite C (VHC) avec 3 à 4 millions de nouveaux cas infectés chaque année [1,2]. Par ailleurs, d’après le rapport du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA et de l’Organisation mondiale de la Santé en 2004, 39,4 millions de personnes vivent aujourd’hui avec le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) [3].

Au Maroc, les taux élevés d’analphabétisation et de pauvreté représentent une des causes majeures de l’augmentation de l’incidence de ces affections du fait de l’ignorance des modes de transmission et de prévention de ces virus par la population marocaine. Ainsi, et selon les données du Centre régional de Transfusion sanguine de Casablanca (CRTS), l’incidence des hépatites B et C et du SIDA était respectivement de 2,4 % , 0,54 % et 0,06 % en 2002.

Ce travail se propose d’évaluer l’état des connaissances de la population marocaine de différents niveaux d’instruction concernant les causes, les modes de transmission, les manifestations cliniques ainsi que les moyens thérapeutiques et préventifs de ces affections afin de cerner la nécessité d’informer, et si besoin est, le type d’information à donner.

Méthodes

L’enquête a été réalisée au Centre régional de Transfusion sanguine de Casablanca de février à mai 2002. Un questionnaire a été distribué lors des collectes mobiles de sang ou dans la salle de prélèvement du CRTS à 2000 donneurs de sang.

Le choix de la taille de l’échantillon étudié a été basé sur le désir d’inclure des groupes de niveaux d’instruction différents et de taille statistiquement interprétable.

Un questionnaire a été établi par les médecins du CRTS. Il teste les connaissances concernant les modes de transmission des virus des hépatites B et C et du VIH, et les possibilités de prévention et de traitement de ces maladies. Il a été tiré en 2000 exemplaires. Mille questionnaires ont été rédigés en arabe et 1000 en français. Les questions étaient courtes et simples sous forme de questions à choix multiples. Les réponses ont également été rédigées en arabe et en français, sur une feuille à part, et ont été distribuées à chaque participant après qu’il ait répondu au questionnaire, l’objectif étant également de donner une information si nécessaire.

Les formulaires ont été distribués à 2000 personnes par un médecin ou un assistant social lors des collectes de sang. Pour le groupe des lycéens dont l’âge ne permettait pas un don de sang, le questionnaire a été distribué dans les classes. Pour les sujets analphabètes, le formulaire a été lu et rempli par un médecin ; pour les autres, il a été remis et rempli avant le don de sang par chaque donneur de sang.

L’analyse des questionnaires a été faite par le médecin responsable de l’enquête.

Résultats

Après étude des 2000 questionnaires, seuls 1750 ont pu être exploités, avec un taux de compliance de 87,5 %. L’âge moyen était de 27 ans pour tous les groupes confondus, avec des extrêmes allant de 16 à 38,5 ans (Tableau 1).

Après analyse des dossiers, les participants ont été répartis en 8 groupes selon leur niveau d’instruction et/ou leur profession.

  • Groupe 1 : lycéens du lycée Moulay Abdellah de Casablanca (n = 100)
  • Groupe 2 : étudiants en 1re année à la faculté de médecine de Casablanca (n = 200)
  • Groupe 3 : étudiants en 5e année à la faculté de médecine de Casablanca (n = 150)
  • Groupe 4 : étudiants des différentes facultés de droit, d’économie et des sciences-techniques de l’université Hassan II de Casablanca (n = 450)
  • Groupe 5 : ouvriers (n = 100)
  • Groupe 6 : cadres (n = 100)
  • Groupe 7 : techniciens de laboratoire et infirmiers du Centre hospitalier universitaire Ibn Rochd de Casablanca (n = 100)
  • Groupe 8 : donneurs de sang, volontaires ou parents de malades, se présentant au CRTS de Casablanca (n = 550).

Sur les 7 questions posées sur les modes de transmission du VIH, 85 % des réponses étaient exactes. Les transmissions sexuelle et materno-fœtale de la maladie étaient connues de la majorité des groupes. La notion de contamination par piqûre de moustique, dans les toilettes publiques ou en buvant dans le verre d’une personne contaminée existait chez 14 % des participants, dont 24 % étaient des étudiants en première année de médecine, 7 % des étudiants en cinquième année et 10 % du personnel de santé (Tableau 2). Les moyens de prévention étaient connus et la nécessité d’isoler le malade était notée chez 83 % des lycéens, 10 % des étudiants en médecine en 5e année et 15 % du personnel paramédical (Tableau 2). L’absence de vaccin efficace était connue de 79 % des participants.

Sur les 7 questions posées sur les modes de transmission du VHB, on a noté 64 % de réponses justes. La transmission sexuelle de la maladie était connue de 23 à 52 % des donneurs de sang ne faisant pas partie du corps médical contre 60 à 84 % du personnel médical (Tableau 3). Soixante-deux pour cent (62 %) des étudiants en 1re année de médecine, 70 % des lycéens et 30 % des étudiants en 5e année de médecine pensaient que l’hépatite B se transmettait par les mains sales, la salive ou l’eau du robinet (Tableau 3).

Les signes cliniques de la maladie étaient connus des jeunes (groupes 1, 2, 3) et ignorés de plus de 60 % du personnel paramédical (Tableau 3).

La possibilité de recourir à une vaccination pour se protéger de l’hépatite B était connue de 68,7 % des participants, dont 55 % étaient des lycéens et étudiants des facultés de droit et 80 % des étudiants en 5e année (Tableau 3).

Sur les 6 questions posées sur les modes de transmission du VHC, on a observé 55 % de réponses exactes. Pour 75 % des étudiants en 5e année de médecine, le VHC était un virus sexuellement transmissible (Tableau 4). Les autres modes de transmission de ce virus étaient bien connus de ces derniers (Tableau 4). Les taux de réponses justes chez les cadres et les ouvriers étaient similaires : 25 % d’entre eux savaient que la contamination pouvait se faire par les instruments du dentiste et 33 % par l’intermédiaire de la brosse à dents (Tableau 4). Douze pour cent (12 %) des étudiants en première année de médecine et 10 % des étudiants en 5e année ne savaient pas que le VHC se transmettait par la brosse à dents, les seringues mal stérilisées et les instruments dentaires mal stérilisés.

À la question d’absence de vaccin contre le VHC, seul le groupe représentant le personnel de santé a répondu correctement, avec 75 % de réponses justes (Tableau 4). Les autres groupes, notamment les étudiants en médecine, ignoraient dans 80 % des cas l’inexistence de ce vaccin.

Hormis 80 % des étudiants en 5e année et 68 % du personnel paramédical, les donneurs de sang des autres groupes ignoraient pour la plupart l’existence d’un traitement.

Discussion

Le virus responsable du SIDA semble le mieux connu du public. En effet, une enquête faite à Nancy révèle que les modes de transmission du VIH sont les mieux connus, avec 92,5 % de réponses justes [4]. Une autre étude réalisée au Yémen montre que la population générale a de bonnes connaissances générales sur le VIH/SIDA [5]. Cette étude révèle un taux de réponses justes de 85 %.

Cependant, certaines idées fausses persistent, telles que la contamination par piqûre de moustique (14 % Casablanca vs 68 % Yémen), en buvant dans le verre d’une personne contaminée (14 % Casablanca vs 41 % Yémen) ou la nécessité d’isoler le malade (14 % Casablanca vs 65 % Yémen) [5]. L’analyse des résultats par groupe montre que ces fausses idées sont plus importantes dans la population générale comparée au personnel de santé. Ainsi, 83 % des lycéens pensent que l’isolement du malade est un moyen de protection contre le SIDA contre 10 % des étudiants en 5e année de médecine et 15 % du personnel paramédical (p < 0,0001).

L’information doit être maintenue dans ce domaine, essentiellement chez les personnes non informées et chez les groupes à risque. En effet, des études réalisées chez des prisonniers [6,7], des chauffeurs de bus longues distances, etc. [8] ont montré la présence de lacunes concernant les connaissances sur le SIDA.

Il est vrai que le SIDA a été vulgarisé par les médias. Mais la psychose de 1985 a disparu et actuellement le SIDA est considéré comme la maladie des autres [9]. Entre 1994 et 1998, en France, on observe une diminution du sentiment de crainte associé aux maladies infectieuses, notamment aux hépatites et particulièrement au SIDA. En 1998, 69 % des Franciliens déclaraient craindre peu le SIDA contre 59 % en 1994 [9].

La sensibilisation du public et l’éducation sanitaire des groupes à risque sont recommandées pour faciliter la mise en place de moyens d’intervention, combattre les préjugés et assurer les prestations aux personnes atteintes.

En ce qui concerne les modes de transmission du VHB, les résultats de cette enquête sont comparables à ceux de l’étude de Nancy (64 % de réponses exactes vs 77 %) [4].

Cependant, 65 % des Français connaissaient le risque de transmission sexuelle de la maladie contre seuls 34,5 % des participants marocains (en excluant les étudiants en médecine et le personnel de santé) [4]. Une enquête réalisée à Karachi a montré que la transmission sexuelle de la maladie était connue de 34,6 % des hommes et de 48,7 % des femmes interrogés [10].

Par ailleurs, certaines idées fausses persistent, même chez les étudiants en 5e année de médecine, qui pensent dans 30 % des cas que la transmission du virus peut se faire par les mains sales ou l’eau du robinet.

La possibilité de recourir à une vaccination contre l’hépatite B est connue de 68,7 % des marocains de cette enquête contre 78 % des Français, 67,6 % des hommes et 80,9 % des femmes à Karachi [4,10]. Seuls 55 % des lycéens marocains et 80 % des étudiants en 5e année de médecine connaissent l’existence du vaccin alors que ce dernier fait partie intégrante du programme national de vaccination de l’enfant depuis juillet 1999.

Ainsi, une information sur les modes de prévention et la vaccination s’avère nécessaire, et ce d’autant plus que l’incidence de la maladie chez les donneurs de sang est estimée à 2,4 % à Casablanca (année 2002).

Les modes de transmission du VHC restent les moins bien connus aussi bien au niveau de cette étude que de celle de Nancy (55 % de réponses justes vs 63 %) [4]. Soixante-quinze pour cent (75 %) des étudiants en 5e année de médecine croient que le VHC se transmet par voie sexuelle. Or l’hépatite C fait partie du programme d’enseignement de 4e année de médecine. Ces fausses réponses sont très probablement dues à des confusions entre les différents virus B et C.

Selon une étude rurale réalisée en Égypte pour la prévention de l’hépatite C, seuls 39 % des infirmiers et 70 % des médecins savaient que les seringues mal stérilisées pouvaient être à l’origine d’une contamination. Mais les médecins ont donné plus que les infirmiers de fausses réponses concernant le mode de transmission et les moyens de prévention de l’hépatite C, avec au moins une mauvaise réponse chez 27 % des infirmiers contre 41 % des médecins [11]. À Casablanca, 91 % du personnel de santé sait que la contamination peut se faire par les seringues mal stérilisées. Il semble, à première vue, que le personnel médical au Maroc soit plus informé qu’en Égypte. En fait, le questionnaire de l’étude de Casablanca, donnant des réponses à choix multiples, est beaucoup plus suggestif que le questionnaire à réponses ouvertes proposé dans l’étude égyptienne ; ainsi les résultats de l’étude faite à Casablanca sont biaisés.

Soixante pour cent (60 %) des Français savent qu’il n’existe pas de vaccin pour se protéger de l’hépatite C contre seuls 23 % des participants marocains et 38,9 % des hommes et 30,4 % des femmes à Karachi [4,10]. Par ailleurs, des études ont montré le rôle important joué par les représentations culturelles et les idées reçues fausses dans l’attitude des patients infectés par le virus de l’hépatite C face à la maladie [12].

Ainsi, il est important de faire une information sur les modes de transmission de l’hépatite C qui a une incidence de 0,54 % chez les donneurs de sang marocains en 2002.

La forte prévalence de ces maladies virales, notée au Maroc sur les chiffres rapportés par le Centre national de Transfusion sanguine, et la gravité de l’évolution des hépatites B et C ont conduit le ministère de la Santé à rendre obligatoire la vaccination contre l’hépatite B. Mais d’autres mesures préventives restent indispensables. Ainsi, il a été décidé de mener une campagne d’information sur les modes de transmission des hépatites B et C et du SIDA et d’inciter à l’utilisation de seringues à usage unique, les seringues étant les sources principales de contamination du fait de leur réutilisation. L’accompagnement médiatique de ces mesures est indispensable car il permet l’amélioration des connaissances de la population et sa sensibilisation. En effet, actuellement une campagne médiatique concernant les modes de transmission et attitudes vis-à-vis du SIDA est diffusée à la radio-télévision marocaine. Par ailleurs, le ministère de la Santé a décidé de renforcer le système de surveillance des hépatites à travers la réactivation de la déclaration obligatoire (Discours de Monsieur Thami El Khiari, Ministre de la Santé. Présentation de la stratégie nationale de lutte contre les hépatites, Rabat, le 20 février 2002).

Conclusion

Cette étude permet de disposer « d’un état des lieux » des connaissances de la population. Des efforts doivent être faits en matière d’information de la population sur les modes de transmission des hépatites B et C et du SIDA. Au terme de cette information, un nouveau questionnaire identique ou mieux, sous forme de questions ouvertes, permettra d’évaluer l’impact de celle-ci. L’impact pourra également être évalué sur le pourcentage de contamination des donneurs de sang. Ainsi, en Égypte la campagne d’information qui a suivi l’enquête a permis une diminution remarquable du taux de contamination de la population par le virus de l’hépatite C [11].

Références

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  2. Hépatite C. Genève, Organisation mondiale de la Santé, 2000 (Aide-mémoire N° 164) (http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs164/fr, consulté le 17 avril 2006).
  3. Rapport sur l’épidémie mondiale de SIDA 2004. 4e Rapport mondial. Genève, ONUSIDA, 2004. (http://www.unaids.org/bangkok2004/GAR2004_pdf_fr/UNAIDSGlobalReport2004_fr.pdf, consulté le 17 avril 2006).
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