Eastern Mediterranean Health Journal | All issues | Volume 20, 2014 | Volume 20, issue 10 | Immunité antitétanique chez des étudiants universitaires et personnels de santé au Liban-Nord et administration de sérum antitétanique dans deux hôpitaux

Immunité antitétanique chez des étudiants universitaires et personnels de santé au Liban-Nord et administration de sérum antitétanique dans deux hôpitaux

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M. Hamze,1,2 S. Hlais,1,2,3 F. Dabboussi 1,2 et H. Mallat 1,2

المناعة ضد الكزاز بين طلاب الجامعات وموظفي الصحة في شمال لبنان وإعطاءُ الأمصال المضادة للكزاز في مستشفيين

منذر حمزة، سني حليس، فؤاد دبوسي، حسان ملاط

الخلاصة: الكزاز مرض خطير يقتل حوالي مليون شخص سنوياً على مستوى العالم. وقد هدفت هذه الدراسة إلى: أ) تقييم المناعة ضد الكزاز (عن طريق عيارات الأضداد في الدم) لدى الكوادر الصحية وطلاب كلية الصحة العامة في الجامعة اللبنانية. ب) استكشاف محدِّدات المناعة ضد الكزاز عن طريق استبيان. ج) تقييم استخدام المصل المضاد للكزاز في أقسام الطوارئ في مستشفيين (أحدهما خاص، والآخر عام) في طرابلس بشمال لبنان. وفي معظم المشاركين (7.66 %) كانت عيارات أضداد الكزاز لديهم ≤ 0.1 وحدة دولية/مل. ولم يكن هناك ارتباط بين الحالة المناعية والجنس (P = 0.614)، ولكن كان الممنَّعون من المشاركين الذين هم بأعمار ≤ 25 سنة أكثر ممن هم بأعمار < 25 سنة (P <0.001)، وكان الممنَّعون من الطلاب أكثر من الموظفين (P = 0.032). وكانت هناك علاقة عكسية بين المناعة ضد الكزاز وزيارة أحد الأطباء في العام الماضي (P = 0.009). وفي عام 2011 تلقى 1037 شخصاً غلوبولينات مناعية مضادة للكزاز في المستشفيين، 73 % منهم كانوا في المستشفى الخاص. ويرى الباحثون أنه قد يكون هناك ما يبرر القيام بحملات تلقيح تستهدف البالغين < 25 عاماً لضمان حماية جيدة ضد الكزاز وتجنب إعطاء الغلوبولينات المناعية المضادة للكزاز في أقسام الطوارئ.

RÉSUMÉ Le tétanos est une maladie grave qui tue environ un million de personnes par an dans le monde. Cette étude avait pour but i) d'évaluer le statut immunitaire contre le tétanos (par dosage des anticorps dans le sang) chez le personnel de santé et les étudiants de la Faculté de Santé publique de l’Université Libanaise, ii) d'explorer les déterminants de l'immunité antitétanique grâce à un questionnaire et iii) d'estimer l’utilisation de sérum antitétanique dans les services des urgences de deux hôpitaux (l’un privé, l’autre public) à Tripoli. La majorité des participants à l’étude (76,6 %) avaient un taux d'anticorps antitétaniques supérieur ou égal à 0,1UI/mL. Il n’y avait pas d'association entre le statut immunitaire et le sexe (p = 0,614) mais les plus jeunes (≤ 25 ans) étaient plus immunisés que les plus âgés (> 25 ans) (p < 0,001) ; les étudiants étaient plus immunisés que les employés (p = 0,032). Il y avait une association inverse entre l'immunité antitétanique et le fait d'avoir consulté un médecin durant l’année écoulée (p = 0,009). En 2011, 1037 personnes ont reçu des immunoglobulines antitétaniques à l’hôpital, dont 73 % à l’hôpital privé. Des campagnes de vaccination visant les adultes de plus de 25 ans peuvent être proposées pour assurer une bonne protection antitétanique et éviter l'administration d'immunoglobulines antitétaniques aux services des urgences.

Anti-tetanus immunity among university students and health staff in North Lebanon and administration of anti-tetanus serums in two hospitals

ABSTRACT Tetanus is a serious illness that kills about one million people a year globally. This study aimed to i) evaluate immunity against tetanus (by antibodies titres in blood) among health staff and students at the Public Health Faculty, Lebanese University, ii) explore the determinants of the anti-tetanus immunity by a questionnaire and iii) estimate anti-tetanic serum use in the emergency departments of two hospitals (1 private, 1 public) in Tripoli. Most of the participants (76.6%) had anti-tetanus antibody titres ≥ 0.1 UI/mL. There was no association between immune status and gender (P = 0.614) but more participants ≤ 25 years were immunized than those > 25 years (P < 0.001) and more students were immunized than employees (P = 0.032). There was an inverse association between anti-tetanus immunity and having visited a physician in the past year (P = 0.009). In 2011, 1037 people received anti-tetanus immunoglobulins at the hospitals, 73% at the private hospital. Vaccination campaigns targetting adults > 25 years may be warranted to assure good anti-tetanus protection and avoid administration of anti-tetanus immunoglobulins in emergency departments.

المناعة ضد الكزاز بين طلاب الجامعات وموظفي الصحة في شمال لبنان وإعطاءُ الأمصال المضادة للكزاز في مستشفيين

منذر حمزة، سني حليس، فؤاد دبوسي، حسان ملاط

الخلاصة: الكزاز مرض خطر يقتل حوالي مليون شخص سنوياً عى مستوى العالم. وقد هدفت هذه الدراسة إلى: أ( تقييم المناعة ضد ب كلية الصحة العامة في الجامعة اللبنانية. ب( استكشاف االكزاز )عن طريق عيارات الأضداد في الدم( لدى الكوادر الصحية وط محدِّدات المناعة ضد الكزاز عن طريق استبيان. ج( تقييم استخدام المصل المضاد للكزاز في أقسام الطوارئ في مستشفيين )أحدهما %( كانت عيارات أضداد الكزاز لديهم ≥ 0.1 وحدة دولية/ خاص، والآخر عام( في طرابلس بشال لبنان. وفي معظم المشاركين )7.66 ولكن كان الممنَّعون من المشاركين الذين هم بأعار ≥ 25 سنة ،)P = الحالة المناعية والجنس )0.614نمل. ولم يكن هناك ارتباط ب وكانت هناك علاقة عكسية .)P = 0.032( نب أكثر من الموظفاوكان الممنَّعون من الط ،)P <أكثر ممن هم بأعار > 25 سنة )0.001 وفي عام 2011 تلقى 1037 شخصاً غلوبولينات مناعية مضادة .)P = المناعة ضد الكزاز وزيارة أحد الأطباء في العام الماضي )0.009نب ت تلقيح ا% منهم كانوا في المستشفى الخاص. ويرى الباحثون أنه قد يكون هناك ما يرر القيام بحم للكزاز في المستشفيين، 7325 عاماً لضان حماية جيدة ضد الكزاز وتجنب إعطاء الغلوبولينات المناعية المضادة للكزاز في أقسام الطوارئ. < نتستهدف البالغ

1Laboratoire Microbiologie, santé et environnement, Centre Azm pour la Recherche en Biotechnologie et ses Applications, École doctorale des Sciences et de Technologie, Université Libanaise, Tripoli (Liban) (Correspondance à adresser à M. Hamze : This e-mail address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it ).
2Faculté de Santé publique, section 3, Université Libanaise, Tripoli (Liban).
3Université Saint-Joseph, Faculté de médecine, Beyrouth (Liban).
Reçu : 21/05/13 ; accepté : 25/02/14


Introduction

Le tétanos est une maladie infectieuse aiguë, grave et potentiellement mortelle (1), qui tue environ un million de personnes par an dans le monde (2). L’agent responsable est Clostridium tetani, bactérie ubiquitaire, tellurique et commensale du tube digestif de certaines espèces animales. Il persiste dans les déjections animales et dans le sol sous une forme sporulée, très résistante. Cette source étant présentée comme « tellurique et inépuisable », l’éradication du tétanos est ainsi considérée comme impossible (1). Le tétanos se développe suite à la contamination d’un patient par des spores par la voie d’une brèche cutanéo-muqueuse (blessure, plaie chronique), spores qui germent et se transforment ensuite en bacille sécrétant une neurotoxine qui migre jusqu’à la moelle épinière et le tronc cérébral, entraînant des contractures musculaires caractéristiques, des spasmes et des convulsions. Bien que son incidence ait diminué depuis la vaccination (3), et malgré la disponibilité et l’efficacité avérée du vaccin antitétanique, le tétanos est encore présent (3,4).

Pour mesurer l'activité des anticorps antitétaniques, on utilise des méthodes in vivo ou in vitro. Le test de neutralisation in vivo mesure directement l’activité biologique de l'antitoxine tétanique. L’hémagglutination passive (HA), les tests ELISA (enzyme-linked immunosorbent assay) ou radio-immunologiques (RIA) permettent de mesurer in vitro les interactions entre les anticorps antitétaniques et la toxine tétanique (ou l’anatoxine) ; ces techniques in vitro sont simples, sensibles, rapides et peu coûteuses, mais sont généralement moins spécifiques que les tests de neutralisation in vivo (5).

Au Liban, le vaccin antitétanique est obligatoire dès l’âge de 2 mois avec des rappels à l’âge de 3 mois, 4 mois, 18 mois, à 4-5 ans, à 10 ans puis tous les dix ans. La plupart des enfants bénéficient de rappels jusqu’à l’âge de 5 ans, rarement à l’âge de 10 ans. Les rappels tous les dix ans sont presque inexistants. Selon l’unité de surveillance au ministère de la Santé publique au Liban, il y a eu, entre 2001 et mai 2012, 23 cas de tétanos (dont 4 néonatals) (6).

Dans ce travail de recherche, nous avons comme objectif d'évaluer le niveau des connaissances sur le vaccin antitétanique chez le personnel qui travaille dans le secteur de la santé (infirmiers/infirmières et techniciens/techniciennes de laboratoire) ainsi que chez des étudiants à la Faculté de Santé publique (FSP) de l’Université Libanaise (futurs travailleurs dans le même secteur). Nous espérons que nos résultats auront un impact sur la santé publique, et aideront à sensibiliser la population de l’étude à la mesure de son statut immunitaire vis-à-vis du tétanos par un dosage des anticorps spécifiques par la méthode ELISA et/ ou la remise à jour de son calendrier de vaccination antitétanique. Enfin, nous avons analysé les registres des urgences de deux hôpitaux dans la ville de Tripoli afin de connaître leur consommation de sérum antitétanique en une année.

Méthodes

Lieu et période de l’étude

L’étude a eu lieu entre le 2 mai et le 9 juin 2012 dans le laboratoire Microbiologie, santé et environnement au Centre AZM pour la Recherche en Biotechnologie et ses Applications de l'École doctorale de l’Université Libanaise du Liban-Nord.

Population visée par l’étude

Nous avons voulu, d’une part, évaluer le niveau des connaissances sur l’importance d'une mise à jour vaccinale des étudiants de la Faculté de Santé publique (FSP) et des personnels de santé qui sont en activité professionnelle (techniciens/techniciennes de laboratoire, infirmiers et infirmières) et d’autre part, mesurer le statut immunitaire des participants vis-à-vis du tétanos.

Au total, 359 personnes ont participé à l’étude, dont 199 étaient des étudiants de la FSP et 160 personnes étaient en activité dans les deux hôpitaux privés Nini et Dar Al-Chifaa, l’hôpital gouvernemental Kobbé de Tripoli, ainsi que dans le centre médical Al-Hamidi, ce dernier étant un centre de médecine primaire qui assure des soins médicaux en ambulatoire pour une grande population défavorisée à Tripoli.

Questionnaire

Un questionnaire a été distribué à chaque participant 24-72 h avant le prélèvement, portant aussi bien sur les données démographiques, le suivi du calendrier vaccinal, la consultation d'un médecin et la recommandation ‒ ou non ‒ de ce dernier de vacciner, que sur un antécédent de plaie récente et de prise d'immunoglobulines antitétaniques.

Prélèvement de sang

Un prélèvement de 5 mL de sang a été effectué à l’aide du système Vacutainer (Becton-Dickinson, États-Unis d’Amérique) sur tube sec. Après coagulation, les tubes ont été centrifugés à une vitesse de 3500 tours par minute pendant cinq minutes. Le sérum a été prélevé à l’aide d’une pipette Pasteur stérile et transvasé dans un tube à hémolyse stérile, puis conservé à -20 °C.

Dosage des IgG spécifiques pour Cl. tetani

Pour doser le titre d’anticorps anti-Cl. tetani en UI/mL, nous avons utilisé un kit ELISA prêt à l’emploi : RIDASCREEN® Tetanus IgG (K3721) commercialisé par la société allemande R-Biopharm AG. Pour la réalisation du test, la lecture et l'interprétation des résultats, nous avons suivi les recommandations proposées par le fabricant.

Consommation d’immunoglobulines anti-Cl. tetani dans deux services des urgences à Tripoli

Nous avons pu consulter les registres des urgences de l’hôpital Nini et de l’hôpital gouvernemental de Kobbé à Tripoli pour l’année 2011. Les informations recueillies portaient sur le sexe du patient, l'âge et le motif d’administration d’IgG antitétanique (Tetagam®).

Étude statistique

Les variables catégoriques ont été représentées par les fréquences et pourcentages. Les variables quantitatives ont été décrites par la moyenne, la médiane, l'écart-type et l'espace interquartile. Les tests utilisés étaient le test du χ2 et le test de Student pour l'analyse bivariée. L'analyse multivariée a été effectuée en utilisant la régression logistique multiple par étapes. Le seuil de significativité alpha a été fixé à 5 %. Le logiciel utilisé était STATA 10.

Résultats

Dans cette étude, nous avons recherché le titre des anticorps anti-Cl. tetani chez 359 personnes dont 288 femmes (80,2 %) et 71 hommes (19,78 %). Les personnes qui ont participé à l’étude étaient, d’une part, 160 infirmiers(-ères) et techniciens(-nes) de laboratoire qui travaillent dans les hôpitaux (45,0 %) et d'autre part, 199 étudiants en sciences paramédicales à la FSP (55,5 %). L’âge moyen était de 26,3 ans avec un écart-type de 9,3 ans, la médiane était de 23 ans et l’espace interquartile de 20-29 ans. En ce qui concerne la répartition de la population de l’étude, les résultats ont révélé que le personnel de santé (infirmiers/infirmières, techniciens/techniciennes de laboratoire) était plus âgé que les étudiants de la FSP. L’analyse socio-économique de la population étudiée a été basée sur l'index d'habitat ou « Crowding index », calculé comme le rapport du nombre de personnes qui vivent sous le même toit sur le nombre de pièces de la maison à part les toilettes et la cuisine.

L’analyse des prélèvements sanguins a montré que 76,6 % (275) de l'échantillon étudié avaient un taux d'anticorps antitétaniques supérieur ou égal à 0,1UI/mL alors que 23,4 % (84) avaient un titre inférieur à 0,1UI/mL. Comme le montre le tableau 1, nous n’avons pas observé d'association entre le statut immunitaire contre le tétanos et le sexe (test du χ2, p = 0,614). En ce qui concerne la relation entre la présence d’immunité et l’âge, les résultats ont montré que les plus jeunes (≤ 25 ans) étaient significative-ment plus immunisés que les plus âgés (> 25 ans) (test du χ2, p < 0,001), la moyenne d’âge étant significativement plus élevée chez les non-immunisés que chez les immunisés (moyenne [écart type] respectivement de 29,9 [12,1] ans contre 25,2 [8,0] ans ; test de Student, p = 0,0012). Les étudiants (qui étaient en général plus jeunes) étaient significativement plus immunisés que les employés (test du χ2, p = 0,032). Le niveau socio-économique n’a pas montré d'effet sur le statut immunitaire (test du χ2, p = 0,247). Nous avons observé que les personnes qui avaient consulté un médecin durant l’année écoulée étaient significativement moins vaccinées (test du χ2, p = 0,009), et parmi celles qui avaient consulté un médecin durant l’année écoulée, il n’y avait pas de relation du taux d’immunité avec le fait que le médecin s’est assuré de la mise à jour de la vaccination (test du χ2, p = 0,415). En outre, les personnes qui n’avaient pas de carnet de vaccination avaient le plus faible taux d’immunité (test du χ2, p = 0,031).

La prise du vaccin antitétanique rapportée par les participants durant les dix dernières années n’a pas montré d'effet sur le statut immunitaire (test du χ2, p = 0,808). Il n’y avait pas d’association significative entre le taux d’anticorps et le fait d’avoir une blessure sans prise d'immunoglobulines antitétaniques (test du χ2, p = 0,502) ; également, les résultats n’ont pas montré d'association entre le taux d’anticorps dosé chez les sujets et la prise d'immunoglobulines antitétaniques après une blessure durant les dix dernières années (test du χ2, p = 0,558). Finalement, il n’y avait pas d’association significative entre le taux d’immunité et la connaissance des recommandations la vaccinales évaluée par la justesse des réponses sur la fréquence requise de la vaccination antitétanique (test du χ2, p = 0,699).

À l'analyse multivariée, on a retenu uniquement deux variables indépendantes dans le modèle de régression logistique par étapes, soit l'âge avec un odds ratio (OR) ajusté de 0,49 et un intervalle de confiance à 95 % de 0,28-0,77, ce qui veut dire que la probabilité d'avoir une immunité adéquate pour le tétanos chez les sujets âgées de plus de 25 ans était la moitié de celle des sujets âgées 25 ans ou moins, en ajustant pour le fait d'avoir consulté un médecin durant l’année écoulée, cette dernière variable étant à la limite de la significativité (p = 0,051). Le modèle était significatif et expliquait 4 % de la variabilité de l'immunité antitétanique (p = 0,0003 ; pseudo-R2 = 0,04) (Tableau 2).

Nous avons analysé les registres des urgences de deux hôpitaux (hôpital Nini et hôpital gouvermental de Kobbé). Pour l’année 2011, les résultats d’analyse ont révélé que 1037 personnes avaient eu une injection antitétanique : 760 à l’hôpital privé Nini (73 %) et 277 (27 %) à l’hôpital gouvernemental de Kobbé. La moyenne d’âge était de 31 ans avec un écart-type de 18 ans et une médiane de 27 ans. En ce qui concerne leur répartition en fonction du sexe, on a constaté que 84 % étaient des hommes et 16 % des femmes ; par conséquent, le sexe masculin était dominant. En analysant les raisons pour lesquelles les médecins ont administré des immunoglobulines antitétaniques, nous avons constaté que la raison majeure était la présence d’une plaie traumatique (près de 90 %) (Tableau 3).

Dans cette étude, nous avons voulu étudier, d’une part, le niveau de connaissance de l’importance du vaccin antitétanique chez 359 personnes qui travaillaient alors dans le secteur de la santé ou de futurs candidats pour ce genre de travail, et d’autre part leur statut immunitaire. Nous avons également évalué la consommation de sérum antitétanique dans deux hôpitaux à Tripoli.

Pour le dosage d’anticorps antitétaniques, nous avons utilisé la méthode ELISA qui reste la méthode de référence pour bien évaluer le statut immunitaire d’une personne vis-à-vis de cette maladie (7-9). Le test ELISA est considéré par l’Organisation mondiale de la Santé comme la référence pour juger de l’état d’immunisation contre le tétanos, avec un seuil de 0,1 UI/mL comme seuil protecteur (10,11). Or, avec un délai de résultat allant de 48 à 72 heures, l’ELISA ne peut pas fournir assez rapidement la réponse nécessaire aux médecins pour prendre des décisions dans les conditions des services des urgences.

Dans notre étude, les résultats obtenus ont révélé que 76,6 % de la population étudiée avaient un titre supérieur ou égal à 0,1UI/ mL et par conséquent étaient considérés comme immunisés, alors que les plus âgés (> 25 ans) sont moins immunisés que les plus jeunes (≤ 25 ans). Il est très fortement probable que notre population (âgée aux alentours de 25 ans) avait reçu une vaccination insuffisante pendant l'enfance, étant donné que le programme national de vaccination pour les enfants n’était pas entièrement en place avant 1987, avec une faible couverture durant les trois premières années d'installation. Le niveau de couverture était de 46 % en 1987 et a augmenté pour atteindre 81 % en 2008 et 98 % en 2013 (12). Un enfant est considéré comme suffisamment immunisé contre le tétanos après avoir reçu trois doses de vaccin. La date de 1989 est importante dans notre étude puisque c'est la date à laquelle la majorité de notre population est née. Le niveau de couverture cette année-là était de 79 % (12) et notre étude a montré que le niveau de protection dans notre population était proche de ce niveau (76 %). Nous pouvons conclure que le niveau de protection de notre population reflète le pourcentage de couverture qui était présente il y a 23 ans.

Il n’y a pas beaucoup d'études dans la littérature sur le statut immunitaire contre le tétanos dans les pays arabes ou méditerranéens. Une étude effectuée en Turquie, dans la province d’Antalya, sur 347 sujets a montré un haut niveau d’immunité antitétanique chez les enfants et les jeunes adultes, mais un faible niveau chez les adultes âgés de 40 ans ou plus (13). Une autre étude toujours en Turquie (Ankara) a été réalisée sur 100 personnes âgées de plus de 18 ans : 68 % ont montré des taux protecteurs d'antitoxine tétanique sans différence significative entre hommes et femmes (comme dans notre étude), tandis que seulement 35,7 % des individus âgés de plus de 50 ans étaient protégés contre le tétanos (14). Une étude réalisée en Égypte sur 709 sujets sains de cinq régions, âgés entre 2 mois et 105 ans, a révélé que seulement 68,3 % de la population âgée de 2 mois à 50 ans avait une protection contre le tétanos. Le niveau de sensibilité au tétanos augmente avec l'âge jusqu'à ce qu'il atteigne 90,3 % (15). Enfin, une étude réalisée en Grèce a trouvé que 64,4 % de la population étudiée était protégée. Le pourcentage de personnes protégées diminue avec l’âge, passant de 83,3 % chez les personnes âgées entre 21 ans et 30 ans à 51,2 % chez les plus de 60 ans (16). La persistance de cas de tétanos chez l’adulte peut donc être interprétée comme étant plus le reflet d’une mauvaise pratique des rappels associée à une couverture insuffisante chez l’enfant.

Diverses enquêtes françaises portant sur la couverture vaccinale estiment que les populations suivantes sont couvertes par le tétanos : 92 à 97 % des enfants de moins de 10 ans, 80 % des personnes à l’âge de 15 ans et 71 % des personnes âgées de plus de 18 ans (17,18). Environ dix millions de personnes seraient donc non immunisées contre le tétanos (19).

Dans notre étude, la visite médicale chez un médecin durant l’année écoulée n’a pas montré d'effet sur le statut immunitaire, et ceux/celles qui n’avaient pas de carnet de vaccination avaient le plus faible taux d’immunité. En effet, les médecins doivent avoir un rôle majeur dans la sensibilisation des patients à l’importance du respect du calendrier vaccinal même à l’âge adulte. Notre étude a montré que, malheureusement, les médecins de notre région ne jouent pas ce rôle parfaitement.

Bien que notre étude n’ait pas montré de différence significative de taux d'immunité selon la prise de vaccin durant les dix dernières années, 226 personnes qui ont déclaré ne pas avoir reçu de vaccin antitétanique en dix ans avaient un titre d'anticorps antitétaniques supérieur ou égal à 0,1UI/mL. Ceci est certainement dû à une bonne vaccination durant l’enfance pour ces sujets. L’évaluation de la consommation d'immunoglobulines antitétaniques (Tetagam®) dans les deux hôpitaux durant l’année 2011 a montré qu'elle était plus importante à l’hôpital privé Nini (73 %) qu'à l'hôpital gouvernemental de Kobbé (27 %). Il y a lieu de signaler que la raison majeure de l’administration de sérum était la présence d’une plaie traumatique. Au total, 1037 patients ont bénéficié d’une injection par Tetagam®, sachant que le prix d’une dose est estimé à 30 000 livres libanaises (soit 20 dollars des États-Unis), donc la somme totale était 31 110 000 livres libanaises (soit 20 000 dollars).

Au Liban, plusieurs facteurs interviennent dans l’administration systématique de sérum antitétanique aux urgences lors de l'admission d’un patient qui se présente avec une plaie, notamment l’absence de carnet de vaccination pour les adultes (ce carnet de santé est disponible pour les nouveau-nés depuis 1996). Dans notre étude, 52,4 % n’avaient pas de carnet de vaccination. Le rappel antitétanique n’est pas respecté par la majorité des Libanais adultes. Au questionnaire de notre étude, 13,4 % des sujets ont répondu que le vaccin antitétanique n’était pas indiqué dans les recommandations, 5,0 % ont répondu que les adultes ne doivent pas prendre de vaccin et 64,9 % étaient prêts à prendre le vaccin. Il est rare de venir aux urgences avec un carnet de vaccination même s’il existe. Le niveau de connaissance de l'importance des vaccins chez l'adulte, notamment du vaccin contre le tétanos, semble être très déficitaire chez la plupart des Libanais. On note enfin qu’entre 2001 et mai 2012, il y a eu 23 cas de tétanos déclarés au Liban et 4 cas de tétanos néonatal (6).

Si les recommandations pour la prophylaxie du tétanos après exposition existent, elles sont cependant difficilement applicables dans la prise en charge des blessés arrivant dans un service des urgences. En effet, outre l’estimation du risque de tétanos en fonction de la nature de la plaie, ces recommandations tiennent compte du statut vaccinal du patient. Malheureusement, les études montrent que ce dernier est difficilement évaluable ; en effet, peu de patients peuvent apporter la preuve écrite de leur statut vaccinal et, souvent, leur interrogatoire n’est pas fiable (20).

Aux urgences, le statut du patient est au mieux apprécié par l’examen du carnet de vaccination, ou à défaut et le plus souvent en pratique, par un interrogatoire du patient (le carnet vaccinal serait non disponible dans 90-95 % des cas selon certaines études) (21). Le manque de fiabilité attribué à cet interrogatoire (22,23), qui sollicite en particulier la distinction d’une antériorité de vaccination de plus de cinq ou dix ans, a conduit une majorité des services d’accueil aux urgences (SAU) français à recourir à l’utilisation de tests immunochromatographiques rapides pour définir le statut vaccinal du patient vis-à-vis du tétanos. L’intérêt d’un tel test est triple : d’une part la prophylaxie, et en particulier des immunoglobulines ne seraient administrées qu’à des patients non immuns, réduisant ainsi au minimum le risque lié à l’utilisation d’un produit dérivé du sang ; d’autre part, une telle technique pourrait permettre d’identifier des cas de patients non immuns malgré une anamnèse suggérant un état vaccinal adéquat. Finalement, comme corollaire à une utilisation plus rationnelle des immunoglobulines, on peut s’attendre à avoir un impact économique positif sur le système de santé.

Conclusion

Notre étude a révélé un niveau de connaissances insuffisant vis-à-vis du vaccin antitétanique dans une population de diplômés en sciences paramédicales. De plus, elle a montré que 21 % des personnes enquêtées ont répondu que leur médecin traitant n’avait jamais évoqué devant eux l’importance d’être à jour pour les vaccins. Pour cette raison, elles n’ont pas fait de rappel, alors que le reste avait d'autres raisons. D’où l’importance pour les médecins de jouer leur rôle normal de sensibilisation de la population libanaise à ce sujet.

La majorité n’a pas de carnet de vaccination, d’où l’importance de trouver une solution par le ministère de la Santé publique qui doit délivrer un carnet de santé pour chaque libanais, afin que chaque citoyen ait un carnet de santé avec un calendrier vaccinal respecté.

Il n'existe pas de campagnes et de programmes informatifs sur le sujet des rappels vaccinaux chez les adultes au Liban. La majorité des Libanais semblent croire que le vaccin ne concerne que les bébés et les enfants, et que la vaccination durant l’enfance confère une protection à vie. En plus, nous n’avons pas trouvé de différence d’immunité antitétanique par rapport au sexe ; ceci est dû probablement à l’absence de programme de vaccination pour les femmes enceintes ou celles qui sont en âge de procréer.

Notre étude a montré que, sur une année, le budget alloué au sérum antitétanique dans deux hôpitaux était de 20 000 dollars. Il s’agit d’une charge en plus pour un secteur qui souffre déjà de difficultés financières, d’où l’importance d’adopter le test immunochromatographique (coût d’un test environ 6 dollars) ; ceci permettra probablement de réduire la facture des dépenses sur le plan national.

Remerciements

Ce travail a été rendu possible grâce au soutien financier de l’association LASeR et à l’assistance technique de M. Taha Abdou.

Conflit d’intérêt : aucun.

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