World Health Organization
منظمة الصحة العالمية
Organisation mondiale de la Santé

Dépistage de l’hypothyroïdie congénitale au Maroc : étude pilote

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Saâd Maniar 1, Chadia Amor 2 et Abbas Bijjou 3

1Observatoire régional d’épidémiologie, Hôpital Al Ghassani, Fès (Maroc) (Correspondance à adresser à S. Maniar : This e-mail address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it ). 2Service de pédiatrie, Hôpital Ibn Al Khatib, Fès (Maroc). 3Service de la Santé publique, Direction régionale de la Santé de Fès-Boulemane, Fès (Maroc).

Résumé

Contexte : Au Maroc, nous ne disposons pas d’informations fiables sur la fréquence de l’hypothyroïdie congénitale (HC) .

Objectifs : La présente étude visait à évaluer la faisabilité d’un programme de dépistage néonatal de la maladie au Maroc.

Méthodes : Nous avons mené une campagne de dépistage de l’HC chez 15 615 nouveau-nés à la wilaya de Fès au Centre-Nord du Maroc.

Résultats : Douze cas d’hypothyroïdie ont été confirmés, soit une fréquence de 1 pour 1301 naissances. Lorsqu’on exclut les quatre cas d’hypothyroïdie transitoire, la fréquence de l’HC est de 1 pour 1952 naissances. L’athyréose représente 25  % des cas, l’agénésie partielle 25 % des cas et 50 % des cas présentent une glande en place ; 67 % des cas d’HC sont de sexe féminin et 33 % de sexe masculin. La moyenne d’âge de dépistage est de 17,1 (écart type [ET] 6,6) jours et celle du début du traitement est de 43,4 (ET 8,7) jours. Le suivi des cas mis sous traitement substitutif a montré une bonne évolution des paramètres anthropométriques et psychomoteurs. L’étude qualitative a permis de constater que les parents prennent le suivi de leur bébé très au sérieux en dépit du niveau socio-économique très bas de la grande majorité d’entre eux.

Conclusion : les résultats de notre étude soulignent la nécessité de la mise en place d’un programme de dépistage néonatal de l’hypothyroïdie congénitale au Maroc.

Mots clés : hypothyroïdie congénitale, dépistage, dosage combiné TSH-T4, traitement substitutif

Citation : Maniar S; Amor C; Bijjou A. Dépistage de l’hypothyroïdie congénitale au Maroc : étude pilote. East Mediterr Health J. 2018;24(11):1066-1073. https://doi.org/10.26719/2018.24.11.1066

Reçu : 02/02/15 ; accepté : 04/06/18

© Organisation mondiale de la Santé 2018. Certains droits réservés. La présente publication est disponible sous la licence Creative Commons Attribution – Pas d’utilisation commerciale – Partage dans les mêmes conditions 3.0 IGO (CC BY‑NC–SA 3.0 IGO ; (https://creativecommons.org/licenses/by–nc–sa/3.0/igo).


Introduction

L’hypothyroïdie congénitale (HC) est la plus fréquente des maladies endocriniennes (1,2). Sa fréquence se situe entre 1/3500 et 1/4000 naissances dans la majorité des pays ayant instauré un programme de dépistage systématique (2-13). Cette affection est caractérisée par des troubles de la morphogenèse et de l’hormonogenèse de la thyroïde avec une insuffisance totale ou partielle de la sécrétion des hormones thyroïdiennes. L’évolution de la maladie se fait vers un retard mental sévère et irréversible, associé à un nanisme et à d’autres manifestations cliniques et métaboliques, ce qui constitue un lourd fardeau pour la famille et la société (2).

Les premières expériences de dépistage menées depuis les années soixante-dix au Canada (3), aux États-Unis d’Amérique (4) et en Europe (6,10) avaient montré l’efficacité d’un dépistage néonatal par le dosage de la TSH (thyroid-stimulating hormone – thyréostimuline) et/ou de la T4 (thyroxine). En fait, le dépistage n’a pas fait disparaître la maladie, mais il en a modifié l’expression (1,12).

Au Maroc, nous ne disposons pas de données sur la fréquence de l’hypothyroïdie congénitale, et peu d’études se sont intéressées à ce sujet. La première campagne de dépistage néonatal de l’hypothyroïdie congénitale (DNHC) qui s’est déroulée à Rabat entre 1995 et 1997 n’a pas été achevée en raison de divers problèmes. En effet, elle n’a touché que 3300 nouveau-nés au lieu de 15 000 prévus initialement (14).

Notre travail a pour but de connaître la fréquence de l’hypothyroïdie congénitale dans la wilaya de Fès qui est considérée comme une zone d’endémie goitreuse, d’étudier la faisabilité d’un programme de dépistage systématique au niveau régional avec une éventuelle généralisation au niveau national et d’évaluer la perception, le comportement et les attitudes des parents d’enfants dépistés positifs.

Méthodes

Type d’étude

Notre projet comporte essentiellement deux types d’études :

un dépistage qui a permis de constituer une cohorte de nouveau-nés confirmés hypothyroïdiens qui ont fait l'objet d'un suivi prospectif pendant sept ans ;

une étude qualitative rétrospective dont le but est de dégager les forces, les faiblesses et les contraintes rencontrées lors de l’exécution du dépistage. Elle a concerné les parents des nouveau-nés dépistés positifs et les professionnels de santé impliqués dans le projet.

Lieu d’étude

Notre étude s’est déroulée au niveau de la ville de Fès et de la province de Sefrou ; 34 centres de santé ont été impliqués dans le dépistage de février 2001 à janvier 2003.

Population cible

La campagne de dépistage de l’hypothyroïdie congénitale a ciblé une population attendue de 15 000 nouveau-nés recrutés à l’occasion de la première vaccination (BCG – Bacille Calmette et Guérin). Ont été exclus de notre étude tous les enfants qui se sont présentés à la vaccination par le BCG avec un âge supérieur à un mois. Les parents des nouveau-nés dépistés positifs ont été aussi ciblés par notre étude qualitative.

Supports de recueil des données et sources d’information

Pour le recueil des données, nous avons utilisé :

les fiches d’identification et les dossiers médicaux des nouveau-nés positifs ;

les registres et les cartes des prélèvements ;

des questionnaires destinés aux parents des nouveau-nés dépistés positifs et aux professionnels de santé impliqués dans le projet.

Prélèvements et méthodes de dosage

Les prélèvements consistent en des gouttes de sang capillaire, recueillies au niveau de la face latérale du talon par scarification au moyen d’un vaccinostyle et déposées sur papier buvard (Whatman body fluid collection paper –BFC180) selon la procédure reconnue par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) (15). Pour le dépistage, nous avons adopté le dosage combiné de la TSH selon la méthode radio-immunométrique TSH-IRMA néonatale et le dosage de la T4 par méthode radio-immunologique T4-RIA sur sang total (16).

Seuil décisionnel et protocole de dépistage

Tout nouveau-né ayant une TSH ≥ 20 µUI/mL et une T4 totale ≤ 60 nmol/L est suspecté comme ayant une HC. Un deuxième contrôle est effectué sur les tâches de sang du même spécimen :

si la TSH est ≤ 20 µUI/mL, le nouveau-né est considéré normal ;

si la TSH est ≥ 20 µUI/mL, le nouveau-né subit un second prélèvement sur papier filtre (dosage de la TSH et de la T4) et un premier prélèvement sur sérum (dosage de la TSH et de la FT4) :

si la TSH est ≤ 20 µUI/mL sur papier filtre et la TSH sur sérum est ≤ 4 µUI/mL, le nouveau-né est considéré normal ;

si la TSH est ≥ 20 µUI/mL sur papier filtre et la TSH sur sérum est ≥ 4 µUI/mL, le nouveau-né est considéré ayant une HC (HC+) ; il est envoyé immédiatement au service régional de pédiatrie de l’hôpital Ibn Al Khatib de Fès pour examen clinique et éventuelle prise en charge thérapeutique. Une fiche d’identification et un dossier médical sont constitués pour chaque cas.

En cas de prélèvement insuffisant, le nouveau-né est convoqué pour un deuxième prélèvement sur papier buvard.

Éthique

Ne disposant pas d’un comité d’éthique institutionnel, et afin de valider le protocole du projet, nous avons mis en place un comité de gestion et de suivi regroupant des représentants de la Direction régionale de la Santé de Fès-Boulemane, de la Direction de l’Épidémiologie et de Lutte contre les Maladies et du Centre national de l’Énergie, des Sciences et des Techniques Nucléaires (CNESTEN). Les exigences que nous nous sommes imposés avant le démarrage du projet sont le consentement éclairé des parents des nouveau-nés recrutés, l’offre de soins en respectant l’éthique et la déontologie médicale, et l’assurance d’une prise en charge complète des nouveau-nés dépistés positifs pendant toute la durée du projet.

Résultats

Données sur le dépistage de l’HC au niveau de la wilaya de Fès

Durant la campagne de dépistage de l’hypothyroïdie congénitale réalisée au niveau de la wilaya de Fès, 15 615 prélèvements ont été effectués au niveau des 34 centres de santé impliqués dans le projet.

Comme le montre le tableau 1, 6688 nouveau-nés, soit 42,83 %, sont de sexe masculin et 8927 sont de sexe féminin, soit 57,16 %. Sur les 15 615 nouveau-nés soumis au dépistage, 82 ont été recontrôlés, soit un taux de rappel de 0,52 %.

Sur les 82 nouveau-nés dépistés positifs sur papier buvard, 46 se sont avérés normaux lors du contrôle sur sérum, soit 56,09 % de faux positifs. Douze cas d’HC ont été confirmés, soit un cas pour 1301 nouveau-nés ; 24 nouveau-nés, soit 29,26 %, ont été perdus de vue et donc n’ont pas pu être contrôlés sur sérum. L’âge moyen des nouveau-nés au premier prélèvement était de 17 jours.

Répartition des cas d’HC dépistés positifs selon le sexe, l’âge et les indicateurs anthropométriques au moment du diagnostic

Sur les 12 cas positifs, 67 % sont de sexe féminin et 33 % de sexe masculin. Tous avaient un poids, une taille et un périmètre crânien normaux pour l’âge au moment du diagnostic. La moyenne d’âge de dépistage est de 17,1 (écart type [ET] 6,6) jours avec un âge maximum de 28 jours et minimum de 7 jours. De même, la moyenne d’âge de début du traitement est de 43,4 (ET 8,7) jours avec un âge maximum de 55 jours et minimum de 30 jours. La moyenne du délai entre dépistage et début du traitement est de 26,0 (ET 9,7) jours avec un maximum de 41 jours et un minimum de 13 jours.

Bilan radiologique des cas dépistés positifs au moment du diagnostic

Comme le montre le tableau 2, chez les neuf cas pour lesquels la radiographie du poignet a été faite, l’âge osseux est compatible avec l’âge chronologique. Chez les dix cas pour lesquels la radiographie du genou a été faite, le point de Béclard est présent chez tous les cas. Le point de Todd est absent chez deux cas (cas 1 et 4) présentant une athyréose/agénésie totale. L’échographie cervicale, réalisée chez dix cas, a montré une agénésie totale chez deux cas, une agénésie partielle chez deux cas et une glande en place pour six cas. La scintigraphie lorsqu’elle a été réalisée (six cas) a confirmé les résultats de l’échographie cervicale.

Fréquence de l’HC selon l’étiologie

Comme le montre le tableau 3, la fréquence des cas dépistés positifs est de 1 pour 1301 naissances. Si nous excluons les formes transitoires, la fréquence des cas d’hypothyroïdie congénitale confirmée est de 1 pour 1952 naissances.

L’étiologie est répartie comme suit : 66,6 % sont liés à des troubles de l’hormonogenèse et 33,4 % sont liés à des troubles de la morphogenèse. Lorsqu’on exclut les cas transitoires, l’athyréose représente 25 % des cas, l’agénésie partielle 25 % des cas et 50 % des cas présentent une glande en place (Figure 1).

Suivi clinique

Un cas d’hypothyroïdie congénitale confirmée associé à une hydrocéphalie dérivée sur myéloméningocèle est décédé à l’âge de quatre mois après hospitalisation au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Rabat-Salé et un cas d’hypothyroïdie transitoire a été perdu de vu (cas 9 et 12).

D’après les courbes du poids, de la taille et du périmètre crânien, nous constatons que :

pour les trois cas d’hypothyroïdie transitoire non traités, l’évolution du poids, de la taille et du périmètre crânien en fonction de l’âge est normale ;

pour les sept cas d’hypothyroïdie confirmée mis sous traitement substitutif, 71 % ont une évolution du poids normale pour l’âge et 29 % ont présenté un excès pondéral (+2 ET) vers l’âge de neuf mois. L’évolution de la taille et du périmètre crânien de ces cas n’a pas révélé d’anomalies à sept ans.

Suivi biologique

D’après le suivi biologique des sept cas d’hypothyroïdie confirmée mis sous traitement substitutif, on constate qu’à deux mois, quatre cas sur sept ont normalisé leur TSH. À quatre mois, tous les cas ont une TSH normale ou basse, ce qui a nécessité des réajustements thérapeutiques.

Suivi psychomoteur

L’évolution psychomotrice, jusqu’à 24 mois pour quatre cas et jusqu’à 18 mois pour trois cas, est normale pour la majorité des cas (six sur sept). La station assise a été acquise en moyenne entre six et sept mois, la station debout entre neuf et 12 mois, la marche sans aide entre 14 et 15 mois et le langage (gazouillement) entre quatre et cinq mois.

À l’âge de sept ans, sur les sept cas mis sous traitement substitutif, six avaient une scolarité normale. Un seul cas (cas 3) a présenté à 25 mois un retard manifeste avec hypotonie axiale, impossibilité de se mettre debout et position assise avec aide.

Déterminants rapportés par les parents des nouveau-nés dépistés positifs

Sur les 12 cas positifs, on s’est entretenu avec les parents de 11 cas, dont neuf mères et deux grands-mères ; un seul cas était inaccessible pour cause de changement d’adresse. La maladie est perçue comme une fatalité ; elle engendre un désarroi et une incertitude sur l’avenir des enfants.

L’accueil des parents aux différents niveaux de diagnostic, de prise en charge et de suivi était très satisfaisant pour 91 % des parents interrogés ; 82 % des parents ont déclaré ne pas avoir reçu une information suffisante sur le dépistage au niveau des centres de santé. Cependant, ils ont affirmé l’avoir reçue au niveau de l’Observatoire régional d’épidémiologie (ORE) et du Service de pédiatrie. Concernant le consentement pour le prélèvement, selon les parents, il n’a pas été demandé systématiquement. Les parents prennent le suivi très au sérieux en dépit du niveau socio-économique très bas de la grande majorité d’entre eux.

Concernant la prise en charge, 44 % des cas avaient bénéficié d’une prise en charge totale avec l’aide de bienfaiteurs tandis que 56 % des cas n’avaient pas pu effectuer une scintigraphie. Le montant global des dépenses engagées par les familles (transport et certaines investigations) varie de 15 à 325 dollars des États-Unis pour une famille qui préférait faire ses analyses à son propre compte.

Discussion

Dans notre étude, le dépistage a été domicilié au niveau de la cellule de santé maternelle et infantile des centres de santé au lieu des maternités, comme c’est le cas dans d’autres pays qui ont instauré un programme de dépistage systématique de l’HC (1,2). Ceci est dû à deux faits importants :

un faible taux de couverture des accouchements en milieu surveillé ne dépassant pas 50 % aussi bien au niveau régional que national (17) ;

une courte durée de séjour des femmes en post-partum, ne dépassant généralement pas 24 heures pour un accouchement normal, alors que le prélèvement pour le dosage de la TSH et de la T4 doit se faire à partir du 3e jour de vie à distance de la crise hypothalamo-hypophyso-thyroïdienne qui a lieu à la naissance (1).

Sachant qu’au Maroc, la prestation vaccinale par le BCG est légalement obligatoire avant le premier mois, qu’elle est disponible gratuitement au niveau de tous les centres de santé et que le taux de recrutement avoisine 95 % au niveau de la région Fès-Boulemane (17), le choix des centres de santé pour instaurer le dépistage s’est imposé.

Plusieurs programmes de dépistage systématique de l’HC sont instaurés à travers le monde. Cependant, il n’existe pas de consensus quant à l’approche du dépistage de l’HC (1,3-6,18). En effet, la méthode de dépistage diffère selon le site de collecte des échantillons de sang (cordon ombilical ou sang capillaire), le moment de la collecte du sang, les différentes stratégies adoptées pour les tests et les critères de rappel.

La plupart des pays européens (mis à part la Finlande), le Japon et le Canada réalisent le prélèvement du sang capillaire, contrairement à beaucoup de pays asiatiques (18,19) et d’Amérique centrale (20). Pour le moment de prélèvement sur sang capillaire, le sang est collecté au 3e-5e jour après la naissance afin d’éviter l’augmentation de la TSH pendant les premières 48 heures après la naissance.

Pour les stratégies de test, trois approches sont utilisées à travers le monde :

mesure de la T4 en premier et de la TSH uniquement pour les cas suspectés, c’est-à-dire ceux ayant une T4 inférieure au seuil prédéfini, comme c’est le cas des États-Unis d’Amérique (4,16). Le désavantage de cette stratégie est la faible sensibilité du test, d’où un niveau de rappel très élevé donc beaucoup de faux positifs. Par ailleurs, le dosage de la T4 seule ignore certains cas d’HC primaire ou transitoire où le taux de T4 est normal mais la TSH est élevée.

Mesure de la TSH en premier et de la T4 uniquement pour les cas suspectés, c’est-à-dire ceux ayant une TSH supérieure au seuil prédéfini. C’est de loin la méthode la plus utilisée en Europe (7,8,10,21) pour diverses raisons, à savoir un taux de rappel plus faible et une plus grande sensibilité, un coût faible et la détection de l’HC surtout primaire. Par contre, cette méthode ignore l’HC secondaire et l’HC tertiaire, l’HC transitoire ou celle due à la déficience de la TBG (thyroxine-binding globulin). La fréquence de ces pathologies est, heureusement, faible (1/60 000, 1/100 000, 1/37 370 et 1/50 000 respectivement) (4). Avec cette méthode, la valeur du seuil en Europe et au Japon est de 25 à 30 µUI/mL (8,22). Au Maroc, nous ignorons la nature du terrain, d’où un abaissement de ce seuil à 20 µUI/mL. Ceci va nous assurer une couverture plus large même si on va augmenter le niveau de rappel.

Mesure combinée de la TSH et de la T4. C’est la meilleure approche même si 5 à 10 % de l’HC ont été ignorés (4,16,21,23). Cependant, le coût élevé de cette stratégie n’est pas en bonne adéquation avec le dépistage de masse.

Les patients peuvent être rappelés pour un deuxième contrôle pour plusieurs raisons : valeur suspecte, prélèvement insuffisant, problème de dosage, etc. Dans notre campagne, le taux de rappel a été de 0,52 %. Ce taux est relativement élevé par rapport aux taux des pays industrialisés (3-6, 22). Par contre, il est du même ordre que celui des pays en développement. Ceci peut être expliqué par :

le seuil de rappel est plus bas dans notre

étude (20 µUI/mL) alors qu’il est entre 25 et 30 µUI/mL dans la plupart des pays européens. Notre taux de rappel serait de 0,3 % si on avait choisi un seuil de 30 µUI/mL.

La carence en iode : le taux de rappel peut passer de 0,1 % chez les populations non carencées en iode à 20  % chez les populations carencées en iode (24).

La surcharge en iode chez les nouveau-nés, qui peut être responsable de cette hypothyroïdie transitoire. Cette surcharge peut être consécutive à l’utilisation abusive d’antiseptiques iodés chez le couple mère-enfant (24).

Parmi les 82 nouveau-nés rappelés pour un contrôle, 24 (soit 29,26 %) ont été perdus de vue. Le manque à l’appel est dû à différents facteurs : fausses adresses, pauvreté, ignorance, certains tabous et croyances relatifs aux bébés, etc.

L’incidence de l’hypothyroïdie congénitale est de 1/1301. En excluant les cas d’HC transitoire dont la TSH s’est normalisée après le contrôle sur sérum, la fréquence retrouvée dans notre étude est de 1/1952. Cette fréquence est supérieure à celle retrouvée dans la plupart des pays développés où la carence iodée a été corrigée depuis longtemps. En effet, quel que soit le continent, elle varie entre 1/3500 et 1/4000 (5,6). Par contre, elle est proche de celle rapportée par des études faites dans des pays à carence iodée modérée comme la Turquie (1/2736) (25) et la Tunisie (1/2000) (26). Lorsqu’on sait que le Maroc est classé comme zone à carence iodée modérée, notre résultat coïncide donc avec les données de la littérature internationale.

Quant aux données nationales, nous constatons que notre fréquence est inférieure à celle retrouvée lors de la campagne pilotée à Rabat entre 1995 et 1997 (1/1138) (14). Ceci peut être expliqué par :

la taille trop réduite de l’échantillon soumis au dépistage à Rabat, ce qui mettrait en doute la valeur de la fréquence rapportée ;

la mise sur le marché du sel enrichi en iode à partir de 1997, ce qui aurait put corriger la carence en iode au niveau de la population de notre région.

Sur la plan étiologique, 50 % des cas sont dus à des troubles de la morphogenèse (athyréose 25 % et agénésie partielle 25 %) alors que 50 % des cas avaient une glande en place et donc probablement des troubles de l’hormonogenèse. Si le pourcentage d’athyréose coïncide avec les données de la littérature, celui des troubles de l’hormonogenèse est plus élevé que celui décrit dans plusieurs études (15 à 20 %) (1,2,9). Cependant, il faut noter que dans notre étude, la scintigraphie n’a été réalisée que pour six nouveau-nés, et même dans ces cas elle n’a pas permis d’affiner l’étiologie, ce qui soulève un problème de compétence technique. La prédominance du sexe féminin (75 %) et l’absence de l’influence des saisons dans notre étude confirment ce qui a été rapporté par d’autres auteurs (1,2). Nous avons dépisté un seul cas familial dont le frère et le cousin, qui ne faisaient pas partie de notre cohorte, avaient également une HC qui a été diagnostiquée tardivement, à dix et sept mois respectivement. Malgré le traitement démarré au moment du diagnostic, ces deux enfants gardent un certain retard psychomoteur. La prédominance du sexe féminin et la présence de cas familiaux suggèrent, comme cela a été décrit, l’existence d’une susceptibilité génétique (1,2).

L’âge moyen de dépistage des cas positifs dans notre série est de 17,1 (ET 6,6) jours et l’âge moyen de début du traitement est de 43,4 (ET 8,7) jours. Le retard de la prise en charge thérapeutique dans certains cas est lié au fait que :

certains parents ne vaccinaient leurs enfants que deux à trois semaines après la naissance ;

parfois les parents donnaient de fausses adresses ou des adresses incomplètes, ce qui rendait difficile leur relance ;

la réception des prélèvements au niveau du CNESTEN accusait un certain retard, surtout au début de la campagne ;

durant la phase initiale du projet, la confirmation sur sérum se faisait au niveau d’un laboratoire privé à Rabat.

Une sensibilisation des femmes enceintes en consultation prénatale, une amélioration des circuits d’acheminement des prélèvements et des résultats ainsi que la disponibilité des moyens d’investigation au niveau local, notamment le laboratoire d’analyses, diminueraient considérablement le délai de prise en charge. Le délai entre le prélèvement et la prise en charge par le traitement substitutif est très important. En effet, il est primordial de démarrer le traitement avant l’apparition des manifestations cliniques. Pour des groupes européens  (12), les enfants qui ont été suivis pour HC et traités dans les 25 jours (+/- 15 jours) ont un quotient intellectuel (QI) normal. Les fonctions neurophysiologiques à six ans sont identiques à celles des enfants sains. Toutefois, pour certains nouveau-nés avec des signes cliniques indiquant une sévère HC, le pronostic intellectuel est sombre. D’autres facteurs peuvent influencer ce résultat de faible QI : le taux initial de T4 et de T3, la maturation osseuse au diagnostic, la présence ou l’absence de tissu thyroïdien et un traitement inadéquat (27). Il est à noter que dans notre étude nous avons été limités par l’impossibilité de réaliser certaines explorations paracliniques pour affiner l’étiologie (bilan thyroïdien complet, scintigraphie, marqueurs génétiques, etc.). Sur le plan somatique, l’évolution des indicateurs anthropométriques suit celle des standards normaux pour la majorité des cas, ce qui témoigne de l’efficacité thérapeutique.

En l’absence d’un psycho-pédiatre, le suivi psychologique a été évalué subjectivement sur la réactivité, l’éveil, le langage et la scolarité, donc on ne peut se prononcer sur le niveau du QI.

Le résultat de l’étude qualitative menée auprès des parents des nouveau-nés dépistés positifs et du personnel de santé impliqué dans la campagne nous a permis de constater une méconnaissance de la maladie qui a été perçue par les parents comme une fatalité engendrant un lourd fardeau familial, d’autant plus que le niveau socio-économique de la majorité des familles est très bas.

Conclusion

À travers les résultats de notre étude qui a montré que le dépistage est facilement acceptable par la population et qu’il y a un impact positif sur la cohorte de cas d’HC dépistés lors de notre campagne, on peut dire que la mise en place d’un programme de dépistage néonatal de l’hypothyroïdie congénitale se justifie parfaitement dans notre région et au Maroc en général.

Ainsi, si un dépistage est instauré au Maroc, sachant que le nombre de naissances annuelles attendues est de 32 170 dans notre région et de 671 862 à l’échelle nationale (17), on pourrait éviter respectivement 17 et 345 handicapés par an. Donc, quel que soit le coût, les avantages du dépistage de l’HC priment.

Remerciements

Nous remercions tous ceux qui ont participé de près ou de loin à la réussite de cette campagne de dépistage qui a été financée en partie par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et le Centre National de l’Énergie, des Sciences et des Techniques Nucléaires (CNESTEN).

Financement : partiel.

Conflit d'intéret : aucun.

Screening of congenital hyperthyroidism in Morocco: a pilot study

Abstract

Background: In Morocco we have no reliable information on the incidence of congenital hypothyroidism (HC).

Aims: The aim of our study was to explore the feasibility of a neonatal screening program for this disease in Morocco.

Methods: We conducted a screening campaign in the HC 15 615 newborns in the wilaya of Fez in north-central Morocco. Positive cases have been followed up during seven years. Over the same period, we conducted a retrospective qualitative study among parents of newly screened positive newborns and health professionals.

Results: Twelve cases of hypothyroidism have been confirmed, a frequency 1p1301 births. When excluding 4 cases of hypothyroidism transients, the frequency of HC becomes 1p1952 births, athyreosis represents 25% of cases, partial agenesis 25% of cases and 50 % of cases had normal thyroid glands in place; 67% are female and 33% male. The average age of testing was 17.1 ± 6.6 days and the start of treatment was 43.4 ± 8.7 days. Tracking cases brought under replacement therapy showed a good evolution of anthropometric parameters and psychomotor. The qualitative study found that parents are monitoring their babies very seriously despite the very low socio-economic class of the vast majority of them.

Conclusions: The results of our study support the need for the establishment of a neonatal screening programme for congenital hypothyroidism in Morocco.

الكشف عن قصور الغدة الدرقية الخلقي في المغرب. دراسة تجريبية في ولاية فاس

سعد منيار، شادية عمور، عباس بجو‬

الخلاصة

معلومات أساسية:‬ ليس لدينا، في المغرب، معلومات موثوق بها عن معدل وقوع قصور الغدة الدرقية الخلقي.

الأهداف: الهدف من دراستنا هو استكشاف جدوى إنشاء برنامج لفحص حديثي الولادة خاص بهذا المرض في المغرب.

طرق البحث: أجرينا حملة للتحري عن قصور الغدة الدرقية الخلقي بين 15615 مولودًا حديثًا في ولاية فاس في شمال-وسط المغرب. وقد توبعت الحالات الإيجابية طوال سبع سنوات. وخلال الفترة نفسها، أجرينا دراسة نوعية بأثر رجعي بين أولياء أمور المواليد الجدد الإيجابيين الذي جرى التحري عنهم حديثًا والمهنيين الصحيين.

النتائج: تأكد وجود 12 حالة من حالات قصور الغدة الدرقية، أي حالة واحدة لكل 1301 ولادة. وباستبعاد 4 حالات من حالات قصور الغدة الدرقية العابر، يصبح تواتر قصور الغدة الدرقية حالة واحدة لكل 1952 ولادة، ويمثل عدم تخلق الغدة الدرقية 25٪ من الحالات، ويمثل عدم تخلق الغدة الجزئي 40٪ من الحالات، وكانت الغدة الدرقية طبيعية وفي مكانها في 50٪ من الحالات. وكان 67٪ من الحالات من الإناث و 33٪ من الذكور. وكان متوسط عمر الأطفال عند الفحص 17.1 ± 6.6 يوم، وكان متوسط العمر عند بدء العلاج 43.4 ± 8.7 يوم. وأظهر تتبع الحالات التي عولجت ببدائل هرمونية تطورًا جيدًا في القياسات الأنثروبومترية النفسية والحركية. ووجدت الدراسة النوعية أن الآباء يراقبون أطفالهم على محمل الجد بالرغم من الانخفاض الشديد للطبقة الاجتماعية والاقتصادية للغالبية العظمى منهم.

الاستنتاجات: تدعم نتائج دراستنا الحاجة إلى إنشاء برنامج فحص لحديثي الولادة خاص بقصور الغدة الدرقية الخلقي في المغرب.

References

  1. Toublanc JE. Hypothyroïdie de l’enfant. In: Encycl Med Chir (Endocrinologie-Nutrition, Pédiatrie). Paris: Éditions scientifiques et médicales Elsevier; 2000 (10-005-A-10, 4-106-A-10),15 p.
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