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La qualité de la prise en charge ambulatoire des patients diabétiques non insulinotraités

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F. Harzallah,1 F. Kanoun,1 F. Elhouch1 et H. Slimane1

RÉSUMÉ Nous avons évalué la qualité du suivi des patients diabétiques non traités par insuline en examinant les dossiers médicaux de 248 de ces patients qui ont consulté dans notre service en 2002. L’âge moyen est de 59,5 (E.T. 10,1) ans ; 62,1 % sont des femmes et la durée connue du diabète est de 8,6 (E.T. 5,9) ans. La majorité des patients sont traités par l’association d’un sulfamide à la metformine. L’évaluation du contrôle glycémique s’est basée sur la glycémie à jeun chez 96,8 % des patients, la glycémie post-prandiale chez 31,9 % et l’hémoglobine glycosylée chez 52,4 %. Le poids est estimé, au moins une fois, chez 88,7 % des patients, la pression artérielle chez 91,1 % et les paramètres lipidiques dans 64,9 % des cas. L’indice de masse corporelle est inférieur à 25 kg/m2 chez 12,3 % des patients et la pression artérielle inférieure à 140/90 mmHg dans 40,3 % des cas. L’examen des pieds est noté dans 2 % des dossiers, l’électrocardiogramme est effectué dans 25 % des cas et l’examen ophtalmologique chez 21 % des patients. La protéinurie est recherchée dans 19,8 % des cas et la fonction rénale est évaluée chez 57,3 % des patients.

ABSTRACT We assessed the quality of care provided to non-insulin treated diabetic patients by examining the medical records of 248 such patients attending our outpatient department in 2002. The mean age was 59.5 (SD 10.1) years, 62.1% were women and known duration of diabetes was 8.6 (SD 5.9) years. The majority of patients were treated with a combination of sulfonylurea and metformin. Glycaemic control was assessed using fasting blood glucose in 96.8% of patients, post-prandial blood glucose in 31.9% and glycated haemoglobin in 52.4%. Weight was measured at least once for 88.7% of patients, blood pressure for 91.1% of patients and lipid levels for 64.9%. Body mass index was less than 25 kg/m2 in 12.3% of patients and blood pressure less than 140/90 mmHg in 40.3%. Foot examination was noted in only 2% of records, electrocardiography was performed for 25% of patients and fundoscopy for 21%. Proteinuria was documented in 19.8% of patients and plasma urea and/or creatinine in 57.3%.

1Service Endocrinologie-Diabétologie, Hôpital La Rabta, Tunis (Tunisie) (Correspondance à adresser à F. Harzallah : This e-mail address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it ).
Reçu : 03/08/04 ; accepté : 29/11/04
EMHJ, 2006, 12(1-2): 98-104


Introduction

Le diabète de type 2 constitue un problème de santé majeur en raison de sa fréquence et la lourde morbi-mortalité qui lui est associée. Sa prise en charge est difficile parce qu’elle exige, outre le contrôle de l’hyperglycémie, la maîtrise des autres facteurs de risque vasculaire ainsi que le dépistage et le traitement des complications dégénératives. Plusieurs études, dont l’United Kingdom Prospective Diabetes Study (UKPDS), ont apporté la preuve que le maintien d’un bon équilibre glycémique et le traitement optimal des autres facteurs de risque vasculaire (hypertension artérielle, dyslipidémie, etc.) permettent la réduction de l’incidence de ces complications [1,2]. Cependant, malgré ces conclusions et les nombreuses recommandations qui en découlent, plusieurs études rapportent que leur application en pratique reste limitée [3,4].

Le but de ce travail est d’évaluer la qualité de la prise en charge ambulatoire des patients diabétiques de type 2 non insulinotraités suivis dans notre consultation.

Méthodes

Cette étude rétrospective s’est intéressée aux patients diabétiques de type 2 qui ont fréquenté notre consultation au cours de l’année 2002, avec une ancienneté connue du diabète de plus d’une année. Les patients insulinotraités et ceux atteints de diabète secondaire ou gestationnel sont exclus. Au total, 248 diabétiques de type 2, ne rece-vant pas d’insuline et suivis en ambulatoire depuis plus d’une année, font l’objet de ce travail.

Les données recueillies à partir des dossiers des patients concernent l’âge, le sexe, l’année du diagnostic du diabète et toutes les données notées au cours de l’année 2002. Ces données comportent les éléments cliniques (poids, pression artérielle, examen des pieds), les résultats des examens complémentaires (électrocardiogramme, examen ophtalmologique, glycémie, hémoglobine glyquée, bilan lipidique et rénal, protéinurie de 24 heures)  et les médicaments prescrits.

Pour chaque patient, une fiche est remplie et saisie à l’aide du logiciel Epi Info version 6 qui a servi à l’analyse des données. Les résultats sont exprimés en % ou en moyenne ± écart type (E.T.). Le test du khi2 est utilisé pour la comparaison des pourcentages.

Résultats

Notre échantillon se compose de 154 femmes et 94 hommes, dont l’âge moyen est de 59,5 (E.T. 10,1) ans, avec une durée connue de la maladie de 8,6 (E.T. 5,9) ans. Dans plus de deux tiers des cas, le diabète est traité par l’association d’un sulfamide et d’un biguanide (Figure 1).

Figure 1 Répartition des patients selon le traitement antidiabétique

Au cours de l’année 2002, le nombre moyen de consultations est de 2,54 (E.T. 0,98) et plus de 85 % des patients ont bénéficié de 2 consultations ou plus (Figure 2).

Figure 2 Nombre de consultations au cours de l’année 2002

Évaluation de l’équilibre glycémique (Tableau 1 et Figure 3)

Figure 3 Répartition des patients selon le taux de l’hémoglobine glycosylée (HbA1c)

La glycémie à jeun est inférieure à 1,30 g/L chez 12,1 % des patients et la glycémie post-prandiale est inférieure à 1,80 g/L dans 20,3 % des cas [5].

Documentation des facteurs de risque vasculaire

Le tabagisme est rapporté par 31 % des patients et beaucoup plus fréquemment par les hommes que par les femmes (72,3 % vs 6 %, p < 0,0001).

Le poids, estimé au moins une fois chez 88,7 % des patients, a permis de calculer l’indice de masse corporelle (IMC), qui est en moyenne de 30,3 (E.T. 4,9) kg/m2 (31,5 [E.T. 4,9] kg/m2 pour les femmes et 28,4 [E.T. 4,1] kg/m2 pour les hommes, p < 0,00001). La répartition des patients selon l’IMC est présentée au Tableau 2.

La pression artérielle est mesurée, au moins une fois, chez 91,1 % des patients et la moyenne des chiffres tensionnels, enregistrés au cours de l’année, est de 142,7 (E.T. 19,2) mmHg pour la pression systolique et de 82,0 (E.T. 10,5) mmHg pour la pression diastolique sans différence significative entre les deux sexes. Plus de la moitié des patients reçoivent un traitement antihypertenseur (55,2 % des femmes et 51,1 % des hommes), alors que seulement 40,3 % ont une moyenne tensionnelle inférieure à 140/90 mmHg (64,1 % chez les non traités vs 20,3 % chez les traités, p < 0,00001).

Un inhibiteur de l’enzyme de conversion est prescrit chez 25,6 % des patients traités pour hypertension artérielle (HTA), en association avec d’autres antihypertenseurs dans plus de deux tiers de cas.

Au cours de l’année 2002, les paramètres lipidiques sont dosés, au moins une fois, chez plus des deux tiers des patients (64,9 %). La moyenne des triglycérides est de 1,78 (E.T. 0,84) g/L et leur taux est inférieur à 1,5 g/L chez 48,4 % des patients (49,5 % des femmes et 46,4 % des hommes). Le cholestérol total est en moyenne de 2,22 (E.T. 0,56) g/L et inférieur à 2,00 g/L dans 32,3 % des cas (28,7 % chez les femmes contre 38,3 % chez les hommes – différence non significative).

Le cholestérol HDL est dosé chez 25,8 % des patients avec une moyenne de 0,46 (E.T. 0,12) g/L et un taux supérieur à 0,40 g/L dans 67 % des cas. Le cholestérol LDL, calculé chez 23,4 % des patients, est en moyenne de 1,47 (E.T. 0,38) g/L et inférieur à 1,30 g/L chez 29,3 % d’entre eux. Environ le tiers des patients (31,8 % des femmes et 27,7 % des hommes) sont traités par un hypolipémiant, presque toujours un fibrate.

Dépistage des complications

L’examen des pieds est noté uniquement dans 5 dossiers, soit 2 % des cas, alors qu’un patient sur quatre (24 % des femmes et 26,6 % des hommes) a bénéficié d’un électrocardiogramme, qui a révélé des signes d’ischémie chez 8,1 % des cas.

L’examen ophtalmologique pratiqué dans 21 % des cas, mais moins fréquemment chez les femmes que chez les hommes (16,9 % vs 27,7 %, p < 0,05), a conclu à l’existence d’une rétinopathie diabétique chez 15,4 % des patients.

La recherche d’une protéinurie effectuée chez 19,8 % des patients (19,5 % des femmes et 20,2 % des hommes) s’est révélée positive chez 26,5 % d’entre eux.

La créatinémie dosée chez 57,3 % des patients a permis le calcul du débit de filtration glomérulaire, par la formule de Cockcroft et Gault [6], qui est inférieur à 60 mL/min dans 31,7 % des cas (30,4 % parmi les femmes et 33,3 % parmi les hommes).

Le traitement anti-agrégant à base d’aspirine à faible dose n’est prescrit que chez 10,1 % de nos diabétiques.

Discussion

Ces résultats confirment ce qui est rapporté par d’autres études quant à l’écart entre les recommandations et la pratique dans la prise en charge des diabétiques de type 2.

Cependant, cette étude ne concerne qu’un seul centre avec un petit effectif de patients et le recueil des données, limité à ce qui est noté dans les dossiers, peut sous-estimer ce qui est réellement fait (par exemple pour l’examen des pieds).

Nous avons opté pour l’étude des patients non insulinotraités parce que, même s’ils ne sont pas les plus fréquents dans notre service (spécialisé et universitaire), ils représentent la majorité des diabétiques de type 2 suivis par les médecins généralistes.

La première cible du traitement du diabète est l’hyperglycémie dont le meilleur reflet est l’hémoglobine glyquée, dont le dosage demeure insuffisamment pratiqué [7,8] ; la moitié de nos patients seulement ont pu en bénéficier. Elle a permis de confirmer le mauvais équilibre glycémique, en étant au dessus du seuil de 8 % chez environ la moitié des patients. Cette proportion, un peu plus élevée que dans d’autres études [8, 9], pourrait s’expliquer partiellement par une moindre adhérence aux prescrip-tions diététiques. Par ailleurs, l’échappement au traitement oral dans le diabète de type 2 est rapporté dans plusieurs études, et particulièrement par l’UKPDS, et est lié au déclin progressif et inévitable de l’insulino-sécrétion [10]. Cet échec doit faire discuter le passage à l’insulinothérapie après avoir éliminé les autres causes du déséquilibre (écart de régime, non-observance thérapeutique, infection).

L’excès de morbi-mortalité cardio-vasculaire observé au cours du diabète [11] n’est expliqué que très partiellement par l’hyperglycémie et est surtout lié à la grande fréquence des facteurs de risque vasculaire associés au diabète de type 2 et s’intégrant très souvent dans le cadre du syndrome métabolique [12]. Les principales anomalies sont l’obésité, l’hypertension artérielle et les anomalies lipidiques.

La surcharge pondérale est très fréquente chez les diabétiques de type 2, retrouvée dans plus de trois quarts des cas [13] et sa réduction est l’un des premiers objectifs de la prise en charge de ces patients avec un IMC cible ne dépassant pas 27 kg/m2 [14]. L’hypertension artérielle, qui touche environ la moitié des diabétiques de type 2 et dont la fréquence augmente avec l’âge et l’existence d’une surcharge pondérale, est elle aussi difficile à apprécier et à maîtriser [15,16]. En effet, les conditions de la mesure de la pression artérielle en consultation sont loin d’être optimales avec, en plus, l’effet blouse blanche [17] et la non-prise des médicaments le jour de la consultation, très courante dans notre contexte.

Si plus de 50 % de nos patients ont un bilan lipidique, moins de la moitié d’entre eux ont globalement atteint les valeurs cibles.

Le maintien d’un bon contrôle glycémique et tensionnel ainsi que la normalisation des paramètres lipidiques exigent l’adhésion aux règles hygiéno-diététiques [18] et une observance thérapeutique optimale, difficile à obtenir surtout en cas de polymédication [19].

En raison d’un risque vasculaire accru chez ces patients, toutes les recommandations préconisent la prescription de l’aspirine comme anti-agrégant plaquettaire chez tous les diabétiques de type 2. Cependant ce traitement peu coûteux, disponible et efficace reste très peu prescrit [20]. Par ailleurs, il ne faut pas omettre que l’arrêt d’une intoxication tabagique doit faire partie des objectifs de l’éducation des patients diabétiques.

Le dépistage annuel des complications dégénératives est justifié par l’intérêt d’identifier et de traiter précocement les différentes atteintes : photocoagulation au laser [21], prescription des inhibiteurs du système rénine angiotensine [22,23], traitement d’une insuffisance coronaire. Cependant, chez nos patients comme dans d’autres études, la majorité des complications ne sont dépistées que dans moins du tiers des cas [24]. Cette insuffisance peut s’expliquer par la surcharge de nos consultations pour l’examen des pieds, le recours à une consultation d’ophtalmologie avec une prise de rendez-vous au préalable pour l’examen du fond d’oeil et la nécessité d’une collecte des urines de 24 heures, qui n’est pas toujours aisée pour les patients, pour la recherche d’une protéinurie.

La majorité des patients diabétiques de type 2 sont suivis par des médecins généralistes, ce qui explique la rareté des études dans des structures comme la nôtre. Ce travail d’évaluation est la première étape dans un programme visant à améliorer la prise en charge des diabétiques de type 2 dans notre service. Il nous permet d’estimer l’écart entre les recommandations et la pratique et de réfléchir aux corrections à apporter. Il est vraisemblable qu’une meilleure organisation et une optimisation de l’utilisation de nos moyens pourraient contribuer à promouvoir l’état de santé des patients atteints de diabète de type 2.

Références

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